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Sous le match nul entre les approches en psychotherapie :
les facteurs communs

Yves Gros-Louis (article publié dans Psychologie Québec, septembre 2003)

Tant que les lions n’auront pas leurs historiens, les histoires de chasse vont toujours glorifier le chasseur. (Proverbe africain)

Depuis le début des années 60, le champ de la psychothérapie est en constante évolution si bien que le nombre de modèles de psychothérapie est passé de 60 à plus de 2501. En plus d’être inondé d’approches, le psychologue est bombardé de travaux sur la validité ou la supériorité de telle ou telle technique appliquée à tel ou tel problème. Comment s’y retrouver comme clinicien dans cette mer d’informations ? Le but de cet article est de résumer les résultats qui ressortent des nombreuses revues de la littérature portant sur la psychothérapie et son efficacité et ce, afin de rendre ces données accessibles au psychologue clinicien. Les implications cliniques de ces résultats seront aussi abordées de façon à ce que le clinicien puisse ajuster sa pratique.

Efficacité de la psychothérapie

Première bonne nouvelle ! La recherche établit clairement que la psychothérapie
est efficace1-8. Cette conclusion s’appuie sur de multiples revues de littérature et de nombreuses méta-analyses (analyses statistiques résumant les données de plusieurs études) couvrant 60 ans de travaux sur des milliers de personnes présentant un vaste éventail de problèmes traités par une grande variété d’approches1-8. L’ensemble des méta-analyses conclut que la « personne traitée moyenne » manifeste plus de signes de guérison que 80 % des personnes non traitées4-8.

Cette bonne nouvelle est renforcée par le fait que la voie de la guérison n’est pas longue. En effet, une méta-analyse6 établit que l’état de 50 % des clients s’améliore de façon significative après aussi peu que 8 à 10 rencontres ! Elle témoigne aussi de tels progrès observés pour un autre 25 % des clients après 26 sessions ou 6 mois de traitements hebdomadaires. Autre bonne nouvelle : les progrès se maintiennent dans le temps2,4,6. Une revue exhaustive de littérature conclut que le succès a tendance à se maintenir davantage chez les clients qui attribuent le progrès à leurs propres efforts4.
Quant à l’efficacité différentielle des approches, nous pouvons compter sur une preuve très solide, car la grande majorité des travaux de recherche en psychothérapie porte sur ce sujet1,2,8. Il y a « match nul » entre les différents modèles de psychothérapie1-8. Même si certains travaux font état d’un léger écart entre les approches, ce dernier peut s’expliquer par le degré de confiance des thérapeutes en leurs méthodes, lequel est un élément plus important que les approches elles-mêmes8. Quant à la supériorité de l’approche cognitivo-comportementale relevée par certaines études, elle s’éclipse quand les biais expérimentaux favorisant ce modèle sont éliminés1,2,4,8.

Les facteurs communs

Quelques hypothèses ont été avancées pour expliquer ce match nul. Toutefois, une a retenu le plus l’attention des chercheurs2,4,7,8: les approches possèdent des facteurs communs qui sont curatifs même s’ils ne sont pas essentiels à la théorie de changement prônée par les diverses écoles de psychothérapie. De plus, une revue de littérature récente et exhaustive 8 a écarté toutes les autres hypothèses et a estimé que 92 % de la variance totale est due aux facteurs communs.

Selon Lambert9, les facteurs communs se répartissent en quatre groupes : le client (changement extra-thérapeutique), la relation thérapeutique, l’espoir (effet placebo) et la méthode d’intervention. Dans un effort sans précédent pour chiffrer ces variables, il a conçu le tableau reproduit ci-dessous9. Même si non validé sur le plan statistique, ce graphique a été largement repris dans la littérature car les méta-analyses tendent à confirmer ces chiffres1,3,7,8.


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Facteur client (changement extra-thérapeutique)

La recherche est formelle : l’élément le plus important du succès de l’intervention est le facteur client13,7,11. Ce facteur est composé en partie par des caractéristiques du client (ses forces, sa motivation, son habileté relationnelle, la nature et la gravité de ses problèmes) et en partie par l’environnement (le support reçu, les événements fortuits). Comme l’indique ce graphique, cet élément explique 40 % des changements en psychothérapie. Ces chiffres sont tirés de l’ensemble de la littérature faisant état de milliers de recherches9, mais aussi des données sur la rémission spontanée4,7 , sur le changement des personnes non traitées4,6, avant le début du traitement1,7,10 et avec l’usage de livres ou de programmes informatiques 7. À titre d’exemple, on estime que plus de 60 % des clients amorcent des changements avant leur première entrevue1,3,7 et que plus de la moitié recourent à une autre forme d’aide pendant leur thérapie1,3,7,10.

Ainsi, plusieurs auteurs avancent que le véritable héros du changement n’est pas le thérapeute, mais bien le client3,7. Certains7 vont jusqu’à affirmer que 70 % du mérite du succès devrait lui être attribué. Outre les 40 % décrits précédemment, ils lui accordent totalement le crédit du facteur espoir (15 %) et la moitié des 30 % pour la création de la relation thérapeutique.

Facteur relation thérapeutique

Selon plusieurs auteurs, la qualité de la relation thérapeutique prédit le mieux le succès de l’intervention4,7,8,12. Il n’est donc pas étonnant qu’elle explique 30 % du changement thérapeutique9. Il existe un large consensus scientifique quant au fait que l’alliance amène le succès de l’intervention et non l’inverse2,4,6,8. La période idéale pour jeter les bases de cette alliance est le début du traitement car on sait qu’elle ne tendra pas à s’améliorer par la suite1,8,12. C’est, en effet, la qualité de la relation établie entre la troisième et la cinquième rencontre qui a le plus de corrélation avec le succès2,8,12. Les thérapeutes et les clients perçoivent différemment la relation1-3,7-8,10,12. Toutefois, la perception du client est plus pertinente que celle du thérapeute ou d’un observateur indépendant1-3,8,12.

La contribution du client et du thérapeute est nécessaire au succès de l’alliance. En ce qui concerne le client, son implication et sa collaboration prédisent mieux le succès que n’importe quelle technique ou attitude du thérapeute1,3,7-8,12. Sa motivation au changement, telle qu’évaluée par lui-même,7 de même que son accord avec le thérapeute sur les buts de l’intervention7-8 sont également associés au succès.

Quant au thérapeute, celui qui démontre plus de comportements positifs (chaleur, empathie et respect) et moins de comportements négatifs (blâme, jugement, ignorance, critique), tels que perçus par le client, est le plus apte à développer une bonne alliance1-2,8,12. D’ailleurs, le facteur thérapeute est beaucoup plus important que toute technique5,8. Il est probable que certains thérapeutes possèdent de meilleures habiletés pour stimuler les facteurs communs1-3,7,8,12. Lorsque le client rapporte une relation insatisfaisante, le thérapeute doit alors aborder la situation directement pour éviter la rupture12. La personnalité du thérapeute, plutôt que ses techniques, est alors déterminante pour corriger puis maintenir une bonne relation8,12.


Facteur espoir (placebo)

Le troisième facteur commun expliquant 15 % des progrès de la psychothérapie est le facteur placebo9. Celui-ci s’est révélé, selon plusieurs méta-analyses, un traitement efficace
en soi1,4,6,8,13. Le client moyen recevant un placebo obtient de meilleurs résultats que 66 % des personnes du groupe sans traitement4,8. Le placebo ne contient pas un élément vital du succès qu’est la confiance du thérapeute dans le traitement, facteur beaucoup plus important que la méthode en soi8. Il est donc prévisible qu’il soit moins efficace qu’un traitement visant à être thérapeutique8 .

Comme il n’est pas possible d’obtenir un véritable placebo en psychothérapie4,8,
un pionnier14 de la recherche sur les facteurs communs lui a préféré le terme espoir. En 1973, il affirmait déjà que les gens ne viennent pas consulter quand ils ont développé un problème, mais plutôt quand ils ont perdu espoir de le résoudre14. La recherche démontre en effet l’importance de l’espoir dans le succès, particulièrement lors des premières rencontres2.


Facteur méthodes d’intervention

Comme il a été rapporté précédemment, il y a match nul entre les différentes méthodes d’intervention1-8. Lorsqu’une différence apparaît entre deux modèles, ce faible écart peut s’expliquer par la différence du degré de confiance des thérapeutes dans leur approche8. De plus, cet écart ne représente que 1 % de la variance totale8, ce qui est bien loin des 15 % que représentent l’ensemble du facteur méthodes. Les facteurs communs appartenant aux méthodes sont donc beaucoup plus importants que leurs aspects spécifiques8.

Plusieurs autres preuves viennent étayer cette affirmation. L’application intégrale d’un manuel de traitement n’augmente pas les chances de succès5,8, au contraire, une application trop rigide nuit au développement des facteurs communs, surtout à celui de la relation4,5. Étonnamment, il ressort que des composés de la méthode sont aussi efficaces que la méthode complète5,8. Enfin, le pairage de méthodes avec certaines caractéristiques des clients ou avec certains types de problèmes n’augmente pas leur efficacité8.


Implications cliniques de ces données

Le constat de 60 ans de recherche est clair : il est inutile de chercher à démontrer la supériorité d’une approche par rapport à une autre1-5,7,8,11. L’attention des chercheurs et des psychologues devrait se tourner vers la compréhension des facteurs communs aux approches1,3,7,8. La formation en psychothérapie devrait porter principalement sur l’apprentissage de moyens pour stimuler les facteurs communs2,4,7,12. Malheureusement, ce virage majeur est difficile à prendre, car ces données, bien que très probantes, sont encore contestées1,3,8,11.

Afin de favoriser le facteur client de loin le plus important dans le succès de l’intervention, le thérapeute devrait s’intéresser à ses importantes forces de guérison. Le psychologue pourrait questionner et encourager la résilience, les progrès faits avant le début de la thérapie et entre chaque rencontre, de même que le recours aux ressources de son environnement pouvant favoriser la guérison1,3,11,15. Afin de faciliter le maintien des progrès, le thérapeute devrait en attribuer le mérite au client et, autant que possible, minimiser son propre rôle1,3,11,15.

Pour créer une forte alliance qui contribue largement au succès de l’intervention, le thérapeute ne peut se fier à sa propre opinion1-3,8,12. Il devrait mesurer régulièrement la perception que le client a de la relation, surtout en début de thérapie1-3,7-8,11-12. Ainsi, il pourrait construire une alliance qui convienne au client1,3,7,12,15, adopter des comportements positifs favorisant la collaboration et la motivation de ce dernier1,3,11,15, mieux s’entendre sur les objectifs de l’intervention1,3,12,15 et, enfin, réparer rapidement les bris d’alliance12.

Comme l’espoir constitue un facteur de réussite aussi important, sinon plus, que l’approche, le psychologue devrait s’assurer de susciter l’espoir chez le client, surtout lors des premières rencontres1-3,11,13,15. Pour ce faire, les meilleures stratégies consistent à miser sur les compétences du client et à créer une forte alliance1-3,11,13-15. Le thérapeute peut aussi éveiller l’espoir dans la relation en manifestant sa confiance dans la guérison du client1,3,13-15 et dans ses méthodes d’intervention1,3,8,11,13-14. Afin d’éviter d’envoyer des messages nuisibles, le psychologue devrait mesurer le niveau d’espoir en même temps que la qualité de la relation13,15.

Quant aux méthodes, la littérature démontre que leur impact n’est pas dû à leurs éléments spécifiques, mais plutôt à leur façon de canaliser les facteurs communs1-5,7-8. Le psychologue devrait posséder dans son coffre à outils plusieurs approches qui favorisent l’émergence des facteurs communs, les choisissant selon la vision du changement du client1,3,5,7,14-15. Il devrait aussi manifester une grande confiance dans ses approches, mais démontrer assez de souplesse pour les abandonner dès qu’il n’y a pas de progrès, spécialement au cours des premières rencontres1,3,11,15. Enfin, il devrait structurer son intervention dans un cadre à court terme 1,3,11,15.


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Références

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développer un style de vie plus satisfaisant: activités choisies par et pour lui.
 
changer sa perception de lui-même au niveau de sa capacité de se prendre en charge et du carisme qu'il exerce sur les autres.
 
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Conférence donnée au congrès de l’Ordre des psychologues du Québec.

 
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